Chloé Merlet n’est pas une athlète professionnelle, mais ça ne l’a pas empêchée de développer une vraie passion pour le sport. Sa vision de la performance ? Progresser et s’affranchir des limites, surtout celles qu’on cherche à lui imposer parce qu’elle est une femme de plus de quarante ans. Portrait d’une coureuse inarrêtable.

Courir après limites pour progresser.
Le sport a toujours eu une place dans la vie de Chloé Merlet. Petite, elle nageait et dansait. Il lui arrivait aussi de courir et ses performances étaient déjà prometteuses. « Avoir au moins un créneau par semaine pour faire une activité physique, ça faisait partie des choses normales » raconte-t-elle.
Les études, puis l’entrée dans la vie active et la naissance de son fils ont fini par progressivement reléguer les baskets au placard. Mais pas définitivement.
« Je me suis dit que je devais reprendre le sport. Entre le travail et un enfant en bas âge, m’adhérer à un club et pratiquer à des heures fixes, ce n’était pas possible. Le plus simple, c’était le running ».
Simple ? Non, pas vraiment. « Courir, c’est hyper dur ! avoue-t-elle en riant. Il faut y aller tranquillement pour ne pas se décourager à chaque fois qu’on a du mal à respirer. »
Et se définir des objectifs. « Je me suis inscrite à une petite course. Mon but, c’était juste de la finir sans avoir l’impression d’être au bord de la mort. Ça m’a donné une raison de sortir. J’ai terminé mes huit kilomètres et ça s’est bien passé. Alors je me suis dit que je ferais bien un semi-marathon ».
Chloé est lancée. Désormais, son rapport à la performance suivra la même mécanique : elle se fixera un objectif. Elle s’y préparera, puis elle l’atteindra. Elle recommencera, avec un but encore plus ambitieux.
Elle raconte : « 21 km, c’est une distance qu’on ne parcourt quasiment jamais au quotidien. J’ai quand même relevé le défi, et encore une fois, j’étais bien. Alors je me suis demandé pourquoi pas un marathon ? Pourtant, pendant longtemps, je ne comprenais pas l’intérêt de se faire mal en courant 42 kilomètres. Mais ça aussi je l’ai fait, et j’ai adoré. »
Avec un peu de recul, elle analyse ce qu’elle vit avec le sport : « progresser, c’est comme regarder au travers d’une fenêtre qui se déplace en même temps que nos performances s’améliorent. » Mais jusqu’où ? « Ça, je ne sais pas. Ce que je sais en revanche, c’est que je ne veux pas me mettre dans le mal. Tant que je suis bien, c’est que je n’ai pas dépassé mes limites. Je peux continuer à les pousser. »
C’est comme ça qu’elle participe à des courses de plus en plus techniques et qu’elle prépare un nouveau marathon et une Saintélyon (80 km de nuit, avec environ 2000 mètres de dénivelé).
« Je m’étais mal entrainée, et j'étais fatiguée. J’avais concentré ma préparation sur le marathon. Pendant la course, j’ai fait un syndrome de l’essuie-glace. » Cette tendinite du genou, particulièrement douloureuse, aurait pu mettre à mal la détermination de Chloé. Mais son rapport au sport lui a permis de cultiver une forme de résilience. « C’était horrible. Je ne pouvais ni descendre ni plier ma jambe. Au kilomètre 25, j’ai décidé d’abandonner. Il nous restait 8 kilomètres jusqu’à la prochaine navette, et ça a été la partie la plus cool de la course. Dès que j’ai acté que je ne pouvais pas continuer et que ce n’était pas grave, je me suis sentie hyper sereine. »

Courir comme une femme
Chercher sans cesse à repousser ses limites a fini par amener Chloé Merlet à se questionner sur la performance. « J’ai suivi un plan d’entrainement pour faire un semi en moins de 2 h. Le jour de l’épreuve, j’étais avec un ami m’a proposé de faire le lièvre. » Nouveau déclic pour Chloé.
« Je voulais démarrer tranquillement pour m’échauffer. Mais il m’a conseillé de partir à l’allure pour laquelle je m’étais préparée. Je n’avais jamais couru à cette vitesse aussi longtemps. Alors je l’ai suivi, en me disant que si ça devenait trop dur, je pourrais toujours ralentir. Tant que ça tient, c’est toujours ça de pris. » Et ça a tenu, créant chez Chloé une révélation : elle pouvait continuer à s’améliorer. Elle s’est donc inscrite dans un club de triathlon.
« Il n’y a rien de plus motivant que de progresser. Tu vois tes temps qui n’arrêtent pas de baisser. Ça me galvanise. »
Il y a cependant des limites auxquelles elle ne pensait pas avoir à se frotter : celle de son âge et de son genre. Et pas à cause de sa condition physique : à quarante ans, Chloé ne s’est jamais sentie autant en forme. « Je suis consciente que c’est différent de pratiquer du sport à mon âge et après avoir eu un enfant. Mon corps n’est plus le même qu’à 20 ans. Mais ce n’est pas du tout un problème, puisque j’adapte mon approche. Ce que refuse, c’est qu’on me fasse remarquer que le fait d’être une femme plus âgée peut être un frein ».
Chloé collectionne les anecdotes faites de sexisme et d’âgisme. « Récemment, sur une course, j’ai fait un podium. Quelqu’un que je ne connais pas me demande de lui préciser lequel. Je lui réponds que je suis arrivée troisième. Oui, mais de quelle catégorie ? Il a été surpris quand j’ai dit que j’étais arrivée troisième de la course, toutes catégories confondues. Je savais qu’il attendait que je lui dise que j’étais arrivée troisième des vieilles ».
Si elle parvient à en rire, ce genre de situation nourrit sa colère. « Même pour acheter des chaussures, on est traitées différemment des hommes. Un collègue de mon club a été conseillé par un vendeur pour des plaques carbone. Il lui a donné tout un tas de conseils techniques et lui a posé des questions sur comment il courait. J’ai eu affaire au même vendeur, qui ne m’a rien demandé et qui a surtout essayé de me décourager. »

Courir après la charge mentale
Courir, améliorer sa vitesse et peaufiner sa technique, ça demande de la disponibilité. Et donc de l’organisation. Chloé Merlet a conscience que son métier de professeure d’anglais lui donne quelques avantages. « Je peux aménager une partie de mon emploi du temps comme je veux. Mon travail ne met pas trop mon corps sous pression. De ce point de vue là, je suis privilégiée. »
S’entraîner demande une grande disponibilité mentale, Chloé l'expérimente régulièrement. « Tu ne pratiques pas de la même manière si tu es épuisée par ton job ou que tu sais que tu dois rentrer pour t’occuper des enfants ou de la maison. Mais en même temps, je vois bien que faire du sport me permet aussi d’être moins fatiguée. C’est un cercle vertueux dans lequel on doit réussir à entrer. »
Son secret pour y parvenir ? « Je fais les choses pour moi. Je fixe mes objectifs, et je décide de quand et comment je m’organise. Je peux m’entrainer plus tôt le matin, ou tard le soir s’il le faut. J’ai développé une forme d’autodiscipline dont je suis assez fière. J’ai l’esprit de compétition, mais je ne cherche pas à courir plus vite que les autres. Celle que je cherche à dépasser, c’est moi. »
Mais comme beaucoup de sportifs, Chloé a un problème :celui de la récupération. « Il faut aussi savoir couper parfois, pour ne pas tomber dans le surentraînement. Mais je ne veux pas me blesser. Je n’ai pas de sponsor à satisfaire. Il n’y a que moi derrière ma perf. Si j’ai besoin de plus de temps, ou si je sens que je peux me faire mal, je m’écoute et je ralentis ». Pendant longtemps, la récupération n’était pas vraiment un sujet pour elle. La compétition et la multiplication des petits bobos qui vont de pair avec une pratique qui s’intensifie lui imposent de réfléchir de manière plus stratégique. Hors de question qu’une blessure qu’elle aurait pu éviter l’arrête dans sa course. Alors Chloé s’entoure : « J’écoute ma kiné. En ce moment, j’ai une cheville fragilisée. Elle m’a conseillé de faire une vraie pause, d’au moins 10 jours, avant de reprendre progressivement dans les semaines qui viennent. »
Aujourd’hui, Chloé est consciente que les femmes sont nombreuses à chercher des modèles qui leur ressemblent, et à qui elles pourraient s’identifier. Alors, elle documente sa pratique sur Instagram. Retrouvez-la sur @courscommeunefille.